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L'An 10000
23 janvier 2008

Au Murano, "We are a family !"

Il est un soir rare, du genre de ceux dont on ne peut que se souvenir. Ce genre de soir où vous vous décidez, votre tendre compagne et vous-même, pris d’un coup de folie mal maîtrisé, de vous rendre au…restaurant. Ne riez pas, ce qui parait pour vous d'une banalité affligeante relève pour moi de la gageure métaphysique : le dîner romantique aux chandelles.

C’est ce dont, parait-il, il est coutume de faire en couple. Un fameux cliché largement éculé mais jamais abandonné. A croire que les amoureux, dans leur vaine espérance, n’ont jamais trouvé rien de mieux qu’un peu de temps en face à face devant un bon repas pour échanger quelques mots.

C’est ce genre de soir là, disais-je, où nous nous rendîmes au Murano : hôtel, bar et restaurant « surbranché » de la place Parisienne que ma chère et tendre avait, d’ailleurs, déjà ostensiblement fréquenté au vu et au su de ma petite personne.

L’endroit avait, il est vrai, le prestige des déracinés. La façade était blanche de pureté, ce qui à deux pas de la place de la République avait pour le moins mérite de détonner.

Comme toujours à l’entrée, ce vieux réflexe de nuiteux mal rasé en jean troué : la crainte de se faire vider. Ce qui n’arrivât point sans doute eu égard à la pulpeuse jeune femme qui m’accompagnait ce soir là.

L’accueil fut à la fois cordial et froid comme sans doute il est de bon aloi qu’il soit dans ce genre d’établissement dont le snobisme égal la prétention. Une blonde sylphide nous accueillit d’un sourire bien courtois pour nous débarrasser de nos vestes et autres accessoires. Je gardais mon pantalon tout de même. Ce n’était pas un club de ce genre là, à mon grand damne…

D’emblée, les lieux interpellaient. Un mur en flamme véritable (!) à votre droite réchauffait une atmosphère clinique où de hypes trentenaires échangeaient de consternantes banalités en sirotant négligemment leur cocktail. A votre gauche, un bar dont le mérite ultime résidait en une incitation à ce cher alcoolisme slave tant la variété des bouteilles de vodka agrémentant ce divin décor raisonnaient comme un appel à la débauche éthylique. La vision d’un enfer paradisiaque.

De nouvelles portes s’entrouvraient…Là, trônait le restaurant dont la décoration était plus décevante. Il semblait que l’architecte eut l’idée saugrenue d’attacher au plafond, ce que de mon humble point de vue, j’apparenterai à de gigantesques clopes. Autant de tiges suspendues, pour rappeler, peut-être, aux plus frustrés qu’il est dorénavant interdit de s’adonner en ce lieu public (qui n’a de public que le nom) aux plaisirs tabagiques.

Nous nous installâmes sur une petite table où la nappe était de  simple papier, comme dans un vulgaire restaurant chinois, mais où la subtilité majeure consistait, ici, en la présence de trois crayons pastel pour inviter l’hôte à exprimer ses délires artistiques ce que, vous imaginez bien, je ne me privai point de faire.

La lumière tamisée rendait ma compagne plus belle encore. Ces silences marquaient une sensualité certaine à laquelle je demeurais sans réponse. Je feignis l’indifférence comme toujours dans ces cas là. C’est sans doute là une erreur.

Toujours est-il que nous dégustâmes un repas à la hauteur de nos gourmandes papilles. Originale et satisfaisante, la nourriture fut, donc, digne de nos attentes.

Plus tard dans la soirée, vint une sculpturale black habillée d’argent comme une Dalida du Sénégal. Cet Aretha Franklin en herbe nous fit l’insigne honneur d’entonner, de sa voix suave, des chansons américaines rythmées que chacun sut apprécier à leur juste valeur.

Même les sanitaires, que l’on s’oblige forcément à visiter, ne manquaient pas, elles aussi, d’étonner le passant. Grandes comme un duplex parisien, elles claquaient le marbre noir et les robinetteries argentées. A l’occasion, d'ailleurs, je pus me rendre compte des difficultés à uriner obnubilé par une image télévisuelle provenant d’un écran HD qui dominait l’urinoir.

Définitivement, c’était là un bel endroit. Beau, parce qu’original. Cette beauté ne m’empêchait pas pour autant de penser, en avalant ma « tarte au caramel déstructurée », aux conséquences juridiques qu’ils pourraient y avoir si une de ces fameuses tiges suspendues au dessus de nos têtes venait à choir pour s’empaler dans le crâne de la bourgeoise permanentée qui me servait de voisine de tablée. Déformation professionnelle.

En ce lieu hors du commun, je restais, donc, moi-même.

Puis, le moment tant honni de payer : 106 euros. Ce ne fut pas un scandale sauf évidemment si vous-même êtes au RMI et comptez le peu de sou que l’Etat, dans son élan philanthropique, daigne vous accorder (remarque à part : ne comptez pas sur sa philanthropie).

Il me fallait, donc, régler ma dette. Je fus seulement interloqué par une incise dans la note qu’ils m’amenèrent. Il y avait inscrit là, sur l’addition : « We are a family ». Une inscription comme une épitaphe de consolation sur la tombe de notre soirée bientôt enterrée.

Je me demandai de quelle famille s’agissait-il ? Avais-je des oncles, tantes au autres cousins cachés dans le restaurant ? Etait-ce là le seul message subliminal que mes ancêtres d’Auschwitz avaient trouvé pour rentrer en contact spirituel avec leur héritier ?

Que nenni. Le Murano semblait affirmer qu’en m’acquittant de ma dette, il m’ouvrait, dans son infinie gratitude, le panthéon prétendument familial de la branchitude. En payant, j’avais ce pass d'entrée dans la tribu d'Ariel Wizman, Frédéric Beigdeder et Bruno Putzulu. Quelle veine !

Et c'est vrai que, pour un peu, on s’y croirait. Le patron aux chaussures rouges et à la veste bigarrée viendrait, bientôt, me claquer la bise comme un Rere des grandes jours (private joke). La Jet-Set ne serait pas si loin. Une vie d’oisiveté luxueuse m’attendrait à la sortie, bientôt le yacht de Bolloré, les jambes de Carla Bruni et une fonction présidentielle d’importance pour me distraire… « We are a family » !

Mais une fois ses portes franchies, le Murano n'a pas tenu ces belles promesses. Rien. Même pas un minable paparazzi pour immortaliser notre sortie que j'avais, pourtant, savamment stylisé. Nada. Que dalle. Et, après m’avoir trop rapidement embrassé, ma copine me tendit un casque de moto comme pour me rappeler que je ne demeurais à ces yeux qu’un modeste piéton. Il fallait qu’elle me ramène sur son scooter. Il se faisait tard. Le RER et la banlieue qui va avec m’attendaient. Elle, s’en retournerait dans ses pénates parisiennes.

« We are a family », un beau slogan. Une idée creuse. Notre cher président aurait dû y penser.

Gary Roman

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Commentaires
M
Très beau<br /> <br /> Pulse enfin démasqué, check sur http://www.isostar-pulse.com
M
c'est vraiment cool et plein de pulse bravo!
Z
Très joli cher Gary! J'aime lorsque tu croques ainsi ces tranches de vie d'un coup de pinceau désabusé!<br /> Tu sembles particulièrement inspiré en ce début d'année, puisses-tu donner des idées d'action à tes collègues Foutre et Dwyer!
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